Nerfitheha | Le Parking

 

Performance Nerfitheha créée à Longueville-sur-scie en 2013.

Le Parking | I

 

Madame Didot n’a jamais appris à conduire et monsieur Didot est toujours obligé de l’emmener là où elle veut aller. Par exemple aujourd’hui madame Didot veut aller au supermarché et monsieur Didot qui déteste les supermarchés est bien obligé de prendre la voiture pour l’accompagner. Mais comme toujours monsieur Didot, qui régulièrement dit à qui veut bien l’entendre qu’il est le chauffeur de madame Didot, reste sur le parking où il fume une cigarette en attendant. Il fume et il regarde. Il n’y a pas beaucoup de trafic sur le parking et généralement il ne se passe rien qui mérite d’être noté. Mais aujourd’hui il y a là un couple qu’il ne connaît pas, probablement un couple de passage, et monsieur Didot les regarde avec attention. Il faut dire que dans ce parking où généralement on ne voit que des gens d’ici, ce couple fait tâche, et comme dirait madame Didot on ne voit plus que ça et aussitôt après elle nettoie et c’est une affaire entendue pour cette pauvre tâche. Bien sûr monsieur Didot n’est pas madame Didot et il ne bouge pas. Il se contente de regarder le couple en tirant sur sa cigarette. Tout à l’heure madame Didot sortira du supermarché et comme toujours elle dira à monsieur Didot de cesser de faire le flic. Il ne répondra pas. Régulièrement il dit à qui veut bien l’entendre qu’il ne répondra à madame Didot qu’en présence de son avocat.

Le couple est bizarre. Ils se sont arrêtés sur ce parking mais manifestement ils n’ont pas l’intention d’entrer dans le supermarché. La femme est sortie comme une folle en claquant la portière et puis en courant elle a fait quelques pas et s’est arrêtée brusquement, presque sur la pointe des pieds, un peu telle une danseuse manifestant par cette course suspendue une quelconque émotion que le spectateur s’efforce de décrypter. C’est peut-être une femme qui fuit. C’est peut-être une femme qui ne sait pas où aller.

L’homme a attendu une minute pour sortir. Il a laissé sa portière ouverte et s’est rapproché doucement de la femme, à pas de loup, il est possible qu’elle ne l’entende pas, elle paraît perdue dans ses pensées.

Il était sur le point de la toucher quand de quelques pas à nouveau elle s’est avancée, s’arrêtant un peu plus loin, la tête droite, le corps tendu tel un animal aux aguets, un animal étrange, de ceux-là qu’on ne peut manifestement pas apprivoiser. L’homme est un chasseur patient. Il attend une minute de plus et tente encore une fois de s’approcher. Mais à portée de mains la femme fuit de plus belle et ne s’arrête que lorsqu’elle se sent en quelque sorte hors de danger. L’homme baisse les bras puis les mains. On peut y lire de la lassitude, de l’impuissance ou quelque chose comme ça.

C’est avec une soudaine véhémence que la femme ouvre son sac, un petit sac de cuir noir qu’elle s’empresse de vider. Elle ne déverse pas, elle plonge la main et sort les objets qu’elle jette au loin, devant elle. Elle a exactement ce geste de la fermière donnant du grain à ses poulets, non pas machinalement mais avec amour, comme si elle était heureuse de nourrir ces oiseaux qui pour un peu iraient presque lui picorer les doigts. Il y a de fortes chances pour que l’homme en soit jaloux. En tout cas on le voit qui se précipite pour ramasser par terre le paquet de mouchoirs et les papiers d’identité, la boîte de tampons et les clés. Il se relève et il parvient à se saisir des mains de la femme qu’il s’efforce de calmer. C’est avec toutes les peines du monde qu’il arrive à remettre dans le sac le paquet de mouchoirs et les papiers d’identité, la boîte de tampons et les clés, tous ces objets que manifestement il a eu honte de voir exposés au grand jour et qu’il s’empresse de reléguer dans l’obscurité de cuir noir d’où ils n’auraient jamais dû sortir, s’efforce-t-il de répéter avec ses mains maladroites qui maintenant tentent de faire revenir la femme vers la voiture où la portière ouverte les attend. Mais la femme résiste, et même à nouveau tant bien que mal elle se détache de l’homme, et détachée se remet à courir pour s’arrêter encore une fois quelques pas plus loin. C’est certain, elle fuit mais ne sait pas où aller.

L’homme n’a pas bougé. Il ne sait probablement plus quoi faire. Il semblerait que cela soit déjà arrivé. Il semblerait qu’il ait déjà vécu cette scène pénible dans un parking de supermarché. Oui, il semblerait qu’il soit plongé jusqu’au cou dans ce malaise particulier, pas étonnant qu’il ne puisse plus bouger.

Mais ce qu’il y a, c’est que la femme a recommencé à jeter. A nouveau elle est en train de vider son sac mais cette fois en courant, au hasard, comme une folle, on ne peut dire autrement, on ne peut dire que comme ça, comme une folle qui profiterait d’une échappée pour s’amuser à lancer en l’air paquet de mouchoirs et pièces d’identité, boîte de tampons et clés qui ouvrent et qui ferment, qui ouvrent et qui ferment Dieu sait combien de portes, combien de portes faut-il ouvrir et refermer avant de parvenir au cœur du sanctuaire, au sein des seins où elle pourra se réfugier ? Mais l’homme apparemment ne l’entend pas de cette oreille, l’homme se secoue, réagit, part à la poursuite, ramasse au passage les objets, s’empare de la femme, la traîne, de force la ramène dans la voiture, parvient à refermer la portière. Et la voiture démarre et l’instant d’après c’est comme si de rien n’était, la scène entière aurait très bien pu n’être qu’un rêve.

Monsieur Didot avance sur les lieux et inspecte. C’est un fin limier, le voici qui trouve une clé. C’est la preuve, la preuve que ce n’était pas un rêve. Monsieur Didot regarde autour de lui. Personne, il n’y a personne sur le parking. Il se baisse et prestement ramasse la clé qu’aussitôt il empoche. Une clé, même si ça ne sert à rien, c’est toujours bon à prendre, Dieu sait ce que ça peut ouvrir. Tout en revenant vers sa voiture, monsieur Didot songe que ça fait longtemps qu’il n’est pas allé voir sa mère. Ça lui vient comme ça, et c’est d’ailleurs ce qu’il dira à madame Didot, que l’idée lui est venue comme ça de se rendre dès aujourd’hui à la ferme. Il voit d’ici madame Didot faire la grimace. Mais madame Didot aura beau dire, la voiture tout à l’heure prendra le chemin de la ferme et elle sera bien obligée de l’accompagner.

Le Parking | II

 

On m’a dit d’apporter mes affaires ici.
Tout ce qui m’embarrasse, tout ce dont je ne veux plus, ce qui est obsolète, ce qui ne sert plus à rien, ici, ici même, à même le sol, en faire un tas.
C’est obligatoire.

Quelqu’un est venu me voir. Un grand type. Je ne le connaissais pas. Un officiel dépêché.
Il a fait un tour dans ma maison puis il en a fait un autre. Il a dit que j’étais libre mais il m’a recommandé cependant d’obéir à la loi. Si je n’étais pas obligé de jeter ce que j’avais en trop, j’avais tout de même intérêt à le faire. Un individu qui ne viendrait pas faire son tas serait forcément suspect. Tout le monde a quelque chose à jeter, tout le monde entasse, et personne ne réagit, personne ne se décide à faire quelque chose, et il paraît que ça devient intolérable. La loi a du bon. Elle va obliger tout le monde à rassembler ses affaires et à les apporter ici même pour en faire un tas.

Je n’ai pas vraiment compris ce que j’avais en trop. Bien sûr, j’ai des babioles, j’ai ce qu’on appelle du superflu. Et puis j’ai aussi des vieilleries, des souvenirs, des cadeaux, des tas de choses qui avec le temps sont devenues inutiles. Il est vrai que je ne me suis jamais décidé à les jeter. Il est vrai aussi que je ne voyais pas de raison véritable. Je pouvais les garder, qui cela allait déranger ? Maintenant, il y a une bonne raison.
J’ai fait un tour dans ma maison puis j’en ai fait un autre. J’ai du mal à me décider. Quoi abandonner ? Pourquoi cette chose-ci et pourquoi pas une autre ? C’est difficile et c’est injuste. D’autant que je ne suis pas certain. Ce qui me paraît à moi encore utile l’est-il pour ce grand type qui me donnait l’impression de vouloir tout jeter ? Plus vous jetterez, disait-il, moins vous paraîtrez suspect. Il m’encourageait fortement à faire un gros tas.

Je ne sais pas comment je vais faire pour apporter tout ça.
Dans le doute où m’a mis le type je me suis décidé à jeter et maintenant ça commence à faire, une voiture n’y suffirait pas. Le salaud a bien précisé : on ne doit faire qu’un voyage, sinon on finirait par confondre les tas, on ne saurait pas qui a entassé quoi, on ne serait pas même certain que tout le monde a fait son devoir, a rempli comme il faut ses obligations. Un voyage, faire son tas, et voilà.
Je suppose qu’ensuite on est tranquille.

L’officiel a omis de me dire ce qu’ils font des tas, combien de temps ils les gardent. Je peux imaginer qu’ils les brûlent ou qu’ils les broient, ils doivent avoir des machines pour ça. C’est une question d’organisation je suppose. Apparemment ils s’attendent à de gros tas et sûrement ils sont équipés pour ça. Il ne faudrait pas les décevoir. On apporte son tas, le reste ne nous regarde pas. J’imagine qu’ensuite on rentre bien tranquillement chez soi. J’imagine qu’on découvre que la maison est étrangement vide, que cela résonne d’une façon sinistre. On se dit : nulle raison de s’inquiéter, on va finir par s’y habituer. On fait alors un tour dans la maison et l’on se demande tout à coup pourquoi on n’a pas jeté cette chose qui traîne, celle-ci qui est sale, cette autre qui n’est pas précisément jolie, et puis cette autre encore qui fait tâche, pourquoi pas celles-là ? Dans la maison on fait un autre tour et soudain on entend le vide retentir en soi. Je peux imaginer ça.

Je vois d’ici les grands tas.
Les ferrailles, les plastiques, les chiffons, les câbles, les porcelaines, les journaux. Toutes ces choses les unes aux autres emmêlées, ces choses entassées qui ont l’air de vouloir s’écrouler, qui sont sur le point de dégouliner. Des choses à tous les prix, des choses de toutes les couleurs. Des molles et des dures. Des rondes et des carrées. Des choses pour tous les goûts. Des choses qui ont vécu. Qui ont été soignées, astiquées, protégées, qui ont été adorées, sur qui on a pleuré, sur qui on a déversé sa colère, dont on s’est moqué, qu’on a constamment menacé de jeter, ce qu’on ne s’était jamais résolu à faire jusqu’à aujourd’hui où l’on est tenu de mettre à exécution ses menaces, obligé, c’est fortement conseillé. La loi est la loi. Notre intérieur doit être dégraissé. C’est un mot que le grand type a employé. Il était maigre ce type. Il était famélique. Il était maléfique. Il a dit d’une voix d’outre-tombe qu’il fallait aller jusqu’à l’os, qu’on devait pouvoir voir le squelette de la maison. Pourquoi ? Il n’a pas dit pourquoi. Je ne crois pas que c’est simplement pour faire le ménage, aussi grand soit-il. Je suppose qu’il y a une idée cachée. Une fois la maison débarrassée, je suppose qu’on pourra la voir, cette idée. Je ne sais pas trop pourquoi mais je ne suis pas pressé.

Rien qu’à la pensée de devoir faire ce tas, je suis d’avance fatigué. Je ne sais vraiment pas comment m’y prendre. C’est l’envie qui me manque, je ne suis guère motivé. Je ne me vois pas aller de chez moi à ici avec mon tas. Je n’ai vraiment pas envie de mettre toutes mes choses à l’air libre et au vu de tous. Ce serait un tas impudique. Un tas de riens, il y a de quoi être honteux de l’exposer en public. C’est comme si on nous demandait de montrer notre intérieur, de quoi nous sommes fait à l’intérieur, sous la surface, ce qu’on est profondément. Nos petites manies étalées. Nos petits secrets divulgués. Tout le monde pourrait voir alors ce qu’on a consommé. Tout le monde pourrait voir ce qu’on nous a fait avaler. Ce n’est pas bien ragoûtant, pas bien reluisant, ça ne met pas précisément en valeur. Et pourtant, il me semble, que c’est ce qui nous fait vivre. L’amour des petites choses, le goût de l’inutile, il paraît que c’est ça que l’on porte, en soi, en tout cas c’est ça qu’on nous demande maintenant de porter ici, de déverser ici, sous les yeux de tous, faire un gros tas.

Le Parking | III

 

On les a vu venir.
La route est droite qui traverse le village. De loin on les a vu venir et on a été étonné. Ça faisait déjà longtemps que nous n’avions pas vu de charrette. Une charrette, on ne pensait plus en voir, et on s’est dit : Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que ça nous amène ?

De près, c’était encore plus étonnant. Le cheval était un beau cheval et sur la charrette il y avait un homme, une femme et trois enfants. Ces cinq-là étaient en habit du dimanche et frappaient par leur beauté inhabituelle. On aurait dit qu’ils apportaient avec eux un air de fête.
Le père et la mère étaient graves et farouches et regardaient droit devant. Derrière eux, jonchés sur un indescriptible bazar, les enfants s’amusaient à tenir debout, le plus longtemps qu’ils pouvaient. On avait l’impression que sous leurs pieds la terre était en train de trembler, ou alors c’était la mer qui faisait des vagues.

Ils ont tourné et sont arrivés sur le parking. On pouvait se demander quelles étaient leurs intentions. En tout cas on les a regardés faire, on ne voulait pas manquer un de leurs gestes. Ils sont descendus, sauf le père qui s’est retourné pour se mettre au piano. C’était surprenant, un piano au fond de la charrette ! De toute l’histoire il est resté là le père, à jouer du piano.
Les autres, ils ont toujours été en mouvement. Sauf bien entendu le plus petit.

Les deux aînés ont pris le plus petit par la main et l’ont installé au beau milieu du parking, en lui recommandant de ne surtout pas bouger. Le petit n’a pas bronché. Il paraissait heureux d’être le centre de l’attention. On aurait dit le gamin pas peu fier d’avoir été choisi pour être le clou du spectacle, pour être celui à partir duquel tout le cirque va s’ordonner.
Alors la mère a lancé une sorte d’appel et à partir de là ça a commencé et ça ne s’est plus arrêté.

Du haut de la charrette la mère a balancé à ses aînés des bouts de tissu de toutes les couleurs qu’ils ont attrapé au vol et qu’ils se sont empressés d’aller porter là où se tenait le petit assis en tailleur. Ils les ont fait tomber en pluie au-dessus de sa tête puis s’en sont retournés pour en attraper d’autres que la mère ne cessait de jeter.
Après les bouts de tissu, il y a eu les habits. Des pantalons et des t-shirts de tailles différentes. On aurait dit que la mère jetait leurs propres habits qu’aussitôt ses enfants couraient déverser sur le plus petit qui pour se protéger penchait un peu le front. Beaucoup de vêtements glissaient sur lui mais il y en avait qui restaient sur ses épaules et sur sa tête. A ses pieds, déjà, se formait un petit tas.
A ce moment ils allaient vite les enfants, au rythme saccadé du piano.

Ayant terminé avec les habits, la mère s’empara de draps et de couvertures. Elle s’accroupissait sur le rebord de la charrette et les passait ainsi aux aînés qui diligemment allaient les déplier au dessus de leur cadet dont on ne vit bientôt plus ni le corps ni la tête. Ça faisait au milieu du parking une petite montagne textile qui vacillait légèrement comme pour annoncer un tremblement de terre. On voyait parfaitement les fanfreluches trembler.
Ensuite, les enfants allèrent chercher la vaisselle.

C’était simple, pour des raisons pratiques la mère glissait les verres, les assiettes et les couverts dans des sacs en plastique que les aînés allaient vider sur la petite montagne là où l’on savait que se cachait leur cadet. Cette fois ça faisait du bruit et de la casse, et des petits bouts de verre et de faïence partout rebondissaient. Mais le son du piano dominait tout cela. On eut dit qu’il avait monté d’un cran et ça résonnait de telle façon que les tôles des hangars tremblaient alentour.
La mère passait maintenant des casseroles et des poêles qui dans la lumière rasante un instant étincelaient. Les enfants tâchaient de les installer de manière à ce qu’elles tiennent tant bien que mal sur ce qui ressemblait de moins en moins à une petite montagne, sur ce qui en réalité ne ressemblait plus à rien.

Ce fut le tour des appareils ménagers, des jouets et des petits meubles. On apercevait rapidement un transistor, un sèche-cheveux, une cafetière électrique, un ordinateur portable, un pèse-personne, une trottinette, un pouf, un escabeau, un lampadaire, une planche à repasser, qui s’en allaient rejoindre le tas informe où plus ou moins ils disparaissaient. Les enfants colmataient les trous et les vides avec des journaux dont ils faisaient des boules et des magazines qui se rebellaient et qui rebiquaient.
La télé, ils durent la porter à deux. Ils durent aussi ralentir leurs pas.

Maintenant la mère de toutes ses forces s’employait à pousser les meubles hors de la charrette et ils finissaient par s’écraser sur le sol avec grand fracas. Les petits bras des enfants avaient peine à transporter les tables et les lits, le frigo et la machine à laver. Ils étaient rouges et en sueur quand malgré tout ils parvenaient jusqu’au tas où ils les déposaient comme ils pouvaient, renonçant à les mettre en hauteur, élargissant plutôt la base qui devenait n’importe quoi.
La mère fut obligée de sauter hors de la charrette pour les aider à traîner la grande armoire qui plus d’une fois faillit basculer. Ils la menèrent derrière le tas et ouvrir les deux battants qui formaient comme deux bras qui semblaient vouloir étreindre ce que toute la famille venait d’abandonner.

Après cela, ce fut fini. Il était tard déjà, on commençait à ne plus trop y voir. Le père referma le piano, la mère et les deux enfants grimpèrent dans la charrette vide. Le père s’empara de la bride et fit tourner le cheval. Les quatre roues de la charrette suivirent docilement le cheval. C’est comme ça qu’ils quittèrent le parking, sans un bruit et au pas.
Nous, on n’avait pas bougé d’un poil, et d’ailleurs on resta longtemps ainsi sans bouger le petit doigt. On contemplait le tas.
Comme on dit, il n’y avait rien à dire et il n’y avait rien à faire. Ce qu’on avait vu ne nous regardait pas.
Mais soudain la lumière a disparu tout à fait et le ciel est devenu noir. C’est alors soudain qu’on a cru que sous nos pieds la terre se mettait à trembler.

Le Parking | IV

 

Elle a pourtant l’air normal. En temps normal on ne devrait pas la remarquer. Mais au contraire de tout le monde elle se tient immobile, un peu comme une vieille personne qui soudain se sentirait perdue et qui se demanderait ce qu’elle fait là —parmi ces voitures toujours sur le point de démarrer, d’avancer ou de reculer— une vieille personne qui prendrait soudain conscience du danger et qui se mettrait à paniquer, et qui ne pourrait plus bouger, les mains accrochées désespérément à un chariot abandonné. Seulement cette femme n’est pas vieille, pas vieille du tout, et bien qu’on ne puisse pas ne pas la remarquer, personne n’ose l’aider, personne n’ose lui demander ce qu’il y a —dans sa tête— qu’est-ce qui fait qu’au contraire des autres elle ne s’empare pas du chariot pour droit devant elle le faire rouler, qu’est-ce qui fait qu’à la suite des autres elle n’entre pas dans le supermarché ?

Le moment de panique a semble-t-il passé. Toujours est-il que la femme s’est détachée du chariot, la voici maintenant qui erre entre les voitures garées pour une durée indéterminée. La voie est étroite entre les voitures plus ou moins bien garées, la voici qui se faufile en posant ses mains à droite et à gauche, sur les vitres et sur les carrosseries. Pour avancer elle s’appuie sur les voitures comme s’appuierait sur les murs un enfant perdu dans un couloir particulièrement sombre. Mais elle hésite, mais elle fait demi-tour, mais elle hésite à nouveau et à nouveau se tient immobile, coincée entre les carrosseries, coincée, on dirait qu’elle ne peut plus avancer. Et puis, soudain, elle disparaît.

Tandis que plus loin des gens poussent leur chariot —entrant précipitamment dans le supermarché— et que tout près des voitures brusquement se mettent à démarrer, elle s’accroupit entre deux carrosseries comme le ferait une gosse dans le but de pisser, sauf que ce n’est plus une gosse, sauf qu’une fois accroupie elle reste à nouveau sans bouger, s’interrogeant peut-être sur ce qu’elle est sur le point de faire, ou peut-être ayant brusquement tout oublié.
Mais voici que d’accroupie elle se met à genoux, que d’à genoux elle se met à quatre pattes, que d’à quatre pattes elle se met à s’allonger, à s’écraser de tout son long sur le sol, des pieds à la tête qui se met alors à tourner sur le côté. Son corps se retrouve allongé dans le couloir étroit formé par deux voitures garées côte à côte, son corps exactement entre les roues de devant et les roues de derrière, sa tête tournée vers la droite, ses yeux fixés sur le dessous de la voiture de droite. Mais les yeux probablement ne voyant pas grand chose, elle tend le bras droit au dessous de la voiture, elle balaie cette surface avec le bras, et là-bas au bout de son bras sa main cherche avec ses doigts et avec sa paume, se déplaçant sur toute la surface elle cherche ce que probablement la tête a oublié. Mais elle ne trouve rien et ramène son bras.
Peu après néanmoins la tête se tourne vers la gauche et les yeux regardent sous la voiture de gauche et le bras gauche s’allonge là dessous et la main cherche avec les doigts et avec la paume, inutilement, en vain, elle ne trouve rien.
La voiture de droite vient de démarrer et la femme allongée est désormais visible pour tous ceux qui précipitamment sortent du supermarché.

Lentement la femme se met à quatre pattes puis à genoux puis en position accroupie, lentement elle se redresse. Visiblement elle pense à quelque chose, visiblement elle est préoccupée. Elle traverse maintenant le parking en ayant la tête baissée. Elle ne fait pas attention aux voitures qui la frôlent sur la droite, elle ne fait pas attention aux chariots qui la frôlent sur la gauche, aux gens qui poussent les chariots, aux gens qui la regardent d’un air interloqué mais qui n’osent lui demander ce qu’il y a —dans sa tête— sûrement une chose à très vite oublier.

Elle est maintenant de l’autre côté du parking et elle se retrouve à nouveau entre deux voitures.
Elle est sur le point de s’accroupir lorsque la voiture de gauche démarre brusquement et elle se redresse machinalement. Tout en se redressant elle se tourne vers la voiture de droite en reculant un peu. Face à la voiture elle se met à genoux puis à quatre pattes puis s’allonge carrément, la tête tout près de la carrosserie, la tête presque en dessous, au milieu, entre les roues. Elle tend son bras droit en avant et au bout en aveugle sa main cherche avec ses doigts et avec sa paume et comme elle ne trouve rien elle tend son bras gauche en avant et au bout sa main cherche avec ses doigts et avec sa paume et ne trouvant toujours pas ce qu’elle a peut-être déjà oublié sa tête tente d’avancer plus loin au-dessous de la voiture et elle écarte les jambes et les bras se tendent un peu plus et les mains cherchent et cherchent en vain, inutilement, ce qui peut-être ne saurait être trouvé.

A un moment les jambes ne s’écartent plus, les bras ne se tendent plus, les mains ne cherchent plus, et la tête au milieu presque en dessous de la voiture semble bloquée.
Mais après ce moment qui dure plus qu’il ne devrait durer et où il ne se passe absolument rien, le corps finit en se traînant par reculer et face à la voiture finit par se redresser, mais il semble fatigué car le moment a passé et il ne s’est rien passé, et en plus d’être fatigué le corps semble désemparé, le corps a l’air d’être une chose sans âme, un pantin ou une marionnette quelque chose comme ça. Ça se voit surtout à la tête mais ça se voit aussi aux bras qui pendent aux mains qui tremblent et aux jambes qui ne veulent plus avancer.

La femme se tient ainsi longtemps immobile les yeux fixés sur la voiture et les gens la regardent de loin et de près n’osent s’approcher. C’est peut-être à cause des yeux fixes, c’est peut-être à cause des mains qui tremblent, c’est peut-être aussi à cause de la tête qui maintenant vers la droite et vers la gauche alternativement se met à tourner —comme si elle voulait dire non, la tête, comme si la femme voulait dire par là quelque chose qu’elle aurait oublié, qu’elle voudrait dire mais ne pourrait pas retrouver, ou alors au contraire comme si quelque chose était sur le point de lui revenir, quelque chose d’inquiétant qu’elle s’efforcerait de repousser —et tout cela pendant un autre moment qui dure lui aussi plus qu’il ne devrait durer, qui dure une éternité, qui est en train de faire du présent quelque chose qui est déjà passé, en quelque sorte un présent enfermé dans le passé, un présent condamné sans issue sans porte de secours —et puis brusquement la voiture démarre, laissant la femme toute seule au milieu du parking, seule, abandonnée —et il semblerait que son corps, il semblerait que le parking, que le supermarché, le monde entier, il semblerait que tout cela ne soit pas près de bouger.

Le Parking | V

 

Son chien n’était jamais sorti du jardin et lorsqu’il l’a vu sortir, l’enfant s’est dit qu’il se passait quelque chose. Sans réfléchir il a suivi le chien car il voulait savoir ce qu’il en était. Il n’a pas pris le temps de prévenir ses parents, il avait peur de perdre de vue le chien qui trottinait d’un bon pas. Et puis, ses parents n’auraient pas été d’accord, ils lui auraient certainement interdit de le suivre. Ils lui auraient dit quelque chose comme Il va revenir alors que l’enfant savait très bien que ce n’était pas vrai. Il le sentait, le chien était parti pour ne jamais revenir. C’est pourquoi il ne pouvait pas le laisser partir sans le suivre, il voulait le voir, toujours le voir, il voulait au moins voir jusqu’où le chien irait.

Il suivit le chien à vingt mètres, en prenant soin de ne pas se faire remarquer. Lorsque le chien se retournait, il se cachait comme il pouvait, derrière un mur, derrière un arbre, derrière une voiture, derrière une poubelle. Le chien semblait chercher quelque chose ou alors il hésitait. Peut-être le chien voulait-il revenir et peut-être il ne le pouvait pas. Sûrement qu’il ne le pouvait pas car il reprenait toujours sa marche en avant. Tout de même, il avait l’air de savoir où il allait et il avait l’air de savoir comment y aller, ce qui était étonnant vu que le chien n’était jamais sorti du jardin.

Le chien était prudent. Il restait sur le trottoir et traversait là où il fallait traverser. On eût dit un chien bien dressé alors qu’il ne l’avait jamais été. Il faut croire qu’il suivait un chemin balisé, ou bien c’était l’instinct, le flair qui le guidait, le menait par le bout du nez. C’est à peine si les gens le remarquaient, en tout cas ils ne s’étonnaient pas que le chien aille ainsi son chemin et ils ne faisaient rien pour l’arrêter. Pourtant le chien aurait pu être dangereux. Il aurait pu faire peur, certains auraient pu s’écarter, mais ce n’était pas ce qui se passait. C’était comme si le chien avait eu l’autorisation, d’abord de sortir du jardin, ensuite de se promener là où bon lui semblait. Alors l’enfant se disait qu’il n’aurait peut-être pas fallu le suivre. Il se disait que si le chien l’apprenait, il en serait contrarié. Peut-être, mais il était trop tard pour le regretter. L’enfant ne pouvait renoncer à le suivre car maintenant il était dévoré par la curiosité.

Ils marchèrent deux kilomètres. Ils traversèrent le village et se dirigèrent vers le supermarché. Le chien allait donc au supermarché.
Le chien entra sur le parking qui à cette heure était désert. Maintenant que l’enfant était là, il fallait bien suivre le chien jusqu’au bout. Alors l’enfant entra lui aussi sur le parking, à découvert. Il n’y avait nulle part où se cacher et lorsque le chien se retourna, l’enfant ne put rien faire d’autre que de ne pas bouger. C’était le moins qu’il pouvait faire et cela fonctionna, le chien ne broncha pas. Il ne gémit ni ne grogna mais ne vint pas pour autant au devant de son maître. Au contraire il s’éloigna un peu plus vers un tas de vêtements qui se trouvait là.

Le chien tourna autour du tas et le huma. Il fit trois fois le tour du tas puis il finit par y entrer puis par s’y asseoir. Seulement, il se releva aussitôt et se mit à aboyer. Il n’aboyait sur personne, il aboyait plutôt dans le vide, en fait il avait l’air d’aboyer sur lui-même. Pendant peut-être un quart d’heure il aboya ainsi puis finit par un long hurlement, comme si la lune s’était levée tout à coup alors que cela se passait sous le grand soleil et que les ombres étaient noires et particulièrement longues. Il était midi passé et il était sûrement l’heure de manger et sans doute les parents devaient s’inquiéter mais l’enfant n’avait pas faim et n’avait pas envie de rentrer, la curiosité était la plus forte. Quand il eût fini de hurler, le chien tourna sur lui-même et se coucha sur le tas.

Les minutes passèrent. Le chien ne bougeait pas. L’ombre du chien ne bougeait pas davantage.
L’enfant se décida à aller vers le tas pour voir si le chien dormait ou quoi.
Lorsqu’il fut à deux pas, le chien soudain releva la tête. Il semblait étourdi et regardait sans voir, probablement sortait-il d’un mauvais rêve, quelque chose comme ça. Quand enfin le chien eût compris où il était, il s’ébroua un peu puis remit son museau sur ses pattes de devant. Il attendit un temps toutefois avant de refermer les yeux, et encore ne les ferma-t-il pas tout à fait. Il régnait dans ce coin de parking une certaine menace, et le chien et l’enfant la sentaient mais ne savaient pas au juste ce qu’il en était. Ils avaient cela en partage, ni l’un ni l’autre ne pouvaient imaginer d’où viendrait le danger.

Après une longue attente —une si longue attente que déjà les employés du supermarché revenaient de déjeuner et que sûrement à la maison les parents étaient morts d’inquiétude— l’enfant osa s’approcher, et s’approcha si près que bientôt sa main était au dessus du chien. L’enfant s’était accroupi avec les yeux fixés sur la tête du chien et maintenant il regardait sa main passer et repasser au dessus de la respiration profonde de l’animal qui faisait semblant de dormir et qui  ne bougeait pas d’un poil. Seule sa respiration profonde faisait enfler et désenfler son corps et à chaque fois que le chien enflait la main était à deux doigts de toucher les poils et à chaque fois la main tremblait légèrement comme si de l’électricité passait de l’animal à l’enfant, une sorte de frisson magnétique. Mais la main ne se décidait pas à toucher l’animal et au lieu de rester au-dessus du ventre elle amplifia son mouvement si bien que maintenant elle allait de la queue à la gueule du chien. Pendant un moment ce fut ainsi et puis ce moment passé la main s’attarda autour de la gueule et l’enfant avait l’impression que sa main faisait cela toute seule. Il ne parvenait pas à réfléchir et cependant il savait qu’il aurait dû en ce moment être auprès de ses parents, mais il ne se décidait pas à partir et il n’arrivait pas à se dire qu’il était temps de retirer sa main, il serait temps maintenant que ma main s’éloigne de la gueule du chien, il n’arrivait pas à se dire cela tout à fait car bien que résonnant tout au fond de lui-même cela ne parvenait pas à monter au cerveau. Parfois on ne sait plus quoi penser. Parfois on n’est pas de taille à lutter. Parfois on se sent si petit qu’il ne nous reste plus qu’à provoquer le destin et la main alors on laisse aller. Au moins, c’est quelque chose. Au moins, on se sent exister.

Le Parking | VI

 

Au début, les gens n’ont pas vraiment fait attention. Lorsqu’on est occupé avec ses propres affaires, on ne fait pas vraiment attention à ce qui se passe au dehors. Suffit d’être préoccupé et on néglige le reste. Et un jour on s’aperçoit que le dehors est en train de se venger. Alors on se sent vaguement coupable et on a peine alors à jouer les étonnés.
Un chien par-ci par-là, les gens n’ont pas fait attention. Ce n’est qu’après qu’ils se sont dit qu’ils auraient dû réagir. A temps, ils auraient dû faire les choses à temps. Leurs propres affaires étaient passées avant et maintenant ils s’en mordaient les doigts. Le pire, c’était que les chiens les voyaient faire. D’une certaine manière, les chiens, de voir les gens se mordre les doigts, ça les encourageait. Ils comprenaient que les gens se sentaient coupables et ça les encourageait à aller de l’avant, au devant des gens qui maintenant s’effaçaient sur leur passage quand ils ne s’enfuyaient pas en courant.

 Comment on en était arrivé jusque-là, ce n’était somme toute pas difficile à comprendre. Les chiens attirent les chiens, c’est ce qu’il faut se mettre bien en tête. C’est le premier que les gens n’auraient pas dû laisser faire. Le premier chien, ils n’auraient pas dû le laisser aller. Errer, c’est le mot. Ils n’auraient pas dû le laisser errer. On l’avait un jour remarqué sur le parking et personne ne s’était demandé ce qu’il faisait là. Les gens, ils se disaient juste qu’il n’avait pas l’air méchant et puis aussitôt ils pensaient à autre chose. Ils n’y faisaient pas vraiment attention et au bout de quelques jours, le chien, il avait toujours semblé être là, et personne ne cherchait à comprendre d’où il pouvait bien venir. De toute façon, un chien errant, on dirait que ça vient de nulle part. C’est ce que les gens se sont dit quand ils ont vu le deuxième, qu’il venait de nulle part.

 Les gens ont commencé à trouver ça bizarre mais ils ne se sont pas vraiment inquiétés. Au troisième, oui, ils se sont inquiétés. Mais ils avaient leurs affaires et les affaires sont les affaires et tout le reste passe en second. Trois chiens errants, ça passe en second. De toute façon on ne va pas si souvent au parking. Surtout, on n’y reste pas, personne ne va y passer la nuit. On peut bien laisser trois chiens errer la nuit. Un parking, après tout, c’est peut-être fait pour les chiens. Un parking ce n’est pas comme chez nous. Nous on dort dans un lit et des fois on ne dort pas parce que l’on pense à nos propres affaires mais tout de même ce n’est pas le parking, ce n’est pas fait pour les chiens, en toute logique on devrait y dormir tranquille. Ce n’est pas comme les chiens sur le parking qui ne ferment qu’un œil parce qu’ils savent, eux, que tout peut arriver. Ils savent qu’un de ces jours les gens vont finir par se réveiller, qu’ils vont finir par lâcher leurs affaires pour voir au dehors ce qui s’y passe. Et c’est bien sûr ce qui arrive, les gens finissent par se rendre compte que les chiens se sont multipliés par deux, qu’ils sont maintenant au nombre de six et que ça devient carrément inquiétant, que maintenant il est temps de passer à l’action.
Mais les chiens, eux, maintenant, forts de leur nombre, ils montrent les dents.

Heureusement, les gens, ils ont des voitures. Un parking c’est fait pour les voitures, les gens n’ont pas à s’y balader. Ils ne font qu’y garer leur voiture et puis ils se précipitent au supermarché. Les gens ils sortent et entrent dans leur voiture le plus rapidement possible de sorte que les chiens n’ont pas vraiment le temps de les mordre. Mais tout de même, il y a un risque. Et puis il n’est tout de même pas normal d’être à la merci d’un chien errant. Un coup de pied, ça ne suffit pas toujours. Les cris, ça n’a pas l’air de les impressionner. C’est plutôt eux qui impressionnent quand ils montrent les dents en grognant. Quand les gens les voient s’approcher, il y a de quoi s’inquiéter, il y a de quoi refermer violemment la portière, il y a de quoi démarrer en quatrième vitesse. Il y a même certaines personnes qui ont essayé de les écraser. Douze chiens errants qui courent après la voiture, ça fait tout de même un drôle d’effet. Vous les regardez à travers le rétroviseur et vous vous dites qu’ils sont enragés.

Le problème, c’est que les gens n’osent plus aller au supermarché. Ils ont pris le parking en horreur et ils se disent maintenant qu’ils ont un ennemi à combattre. Les choses ne rentreront dans l’ordre que lorsqu’il n’y aura plus un seul chien errant. Il faut les éliminer jusqu’au dernier, ce n’est que comme ça que les gens retourneront au supermarché, ce n’est que comme ça qu’ils pourront retourner à leurs affaires et dormir en paix s’ils le peuvent. Les autorités ont intérêt à faire quelque chose de définitif. Elles n’ont que trop tardé et voilà où nous en sommes. Il y a vingt-quatre chiens qui errent sur le parking et qui n’ont pas du tout l’intention de vous lécher les mains. Ils ont trouvé un lieu à eux et ils vont le défendre. Ils bavent d’envie de planter leurs crocs dans vos chairs qui ont l’air si tendres. Ils ne vous croient pas quand vous dites que vous ne dormez pas. Ils lorgnent sur vos chairs et ils se disent que le malentendu est grand. Ils regardent vos deux oreilles et ils savent que vous ne les entendez pas. Et il est vrai que vous ne les comprenez pas tout à fait quand les yeux dans les yeux ils vous regardent avec cette pointe de désarroi dont vous ne savez que faire, que surtout vous ne savez pas où planter. Il n’y a rien sur le parking, rien à quoi se raccrocher. Ce lieu, c’est juste pour garer votre voiture, et vous avez tellement l’habitude de vous garer que vous pouvez vous permettre d’avoir la tête ailleurs. Déjà, vous pensez à autre chose, déjà vous pensez à vous protéger. Vous espérez que vous allez faire de bonnes affaires, vous espérez surtout qu’une fois de plus vous n’allez pas vous faire avoir. Vous avez bien l’intention d’y remédier. C’est déjà bien en sortant de la voiture de ne pas trouver un chien dans ses pattes. C’est comme se réveiller, c’est comme sortir d’un cauchemar.